La gestion de la couleur

Qu’un projecteur puisse offrir la possibilité de modifier la composition chromatique de la lumière en ajoutant entre eux des rayonnements lumineux de teintes différentes, constitue certainement la plus grande innovation permise par la LED en matière d’éclairage. Elle ouvre de nouveaux horizons et offre la possibilité d’une gestion agile des teintes d’un éclairage scénique, tout en bousculant certaines méthodes de travail. Pour parvenir aux meilleurs résultats, il est nécessaire de faire appel à un outil de gestion de la couleur performant et évolué. Pour faciliter cette gestion, les consoles proposent un certain nombre d’outils pour aider au maniement de la couleur.

Color Picker

Les consoles mettent à disposition de l’utilisateur un outil appelé « Color Picker ». Il s’agit d’un espace colorimétrique graphique où il est possible de visualiser et de choisir la couleur souhaitée. Le terme générique de « Color Picker » regroupe différents espaces colorimétriques qu’il est possible de sélectionner selon ses préférences : RGB, CMY, HSB (Hue, Saturation, Brightness) ou CCT (Color Correlated Temperature).

Ces espaces colorimétriques sont des espaces tridimensionnels dont les 3 composantes sont : la teinte, la saturation et la luminosité. Ce qui signifie que lorsque l’on attribue une couleur à un projecteur, on lui attribue aussi une valeur de luminosité, sans pourtant avoir aucune action sur le paramètre d’Intensité (Dim), ni obligatoirement en être conscient. Couleur et luminosité sont intrinsèquement liées. Ce lien n’est pas évident à faire à l’intérieur des espaces RGB ou CMY, mais il est facilement perceptible à l’intérieur de l’espace HSB qui comprend une composante « Luminosité » : Si la composante « Luminosité » indique une valeur de 75%, cela signifie que lorsque l’Intensité (Dim) du projecteur sera au maximum (100 ou Full), le projecteur ne fournira que 75% de la luminosité qu’il est capable de fournir pour la teinte et la saturation choisie.

Color Picker Grand MA3

© Agence culturelle - Nicolas FandardIl est possible de se déplacer dans cet espace selon trois paramètres : la teinte (x), la saturation (y) et l'intensité (B=brightness).

© Agence culturelle - Nicolas Fandard

Il est possible de se déplacer dans cet espace selon trois paramètres : la teinte (x), la saturation (y) et l'intensité (B=brightness).

Color Picker ETC EOS

© Agence culturelle - Nicolas FandardLa zone délimitée par un trait blanc correspond au triangle Kodak ProPhoto. La zone délimitée par un trait rouge correspond au Gamut d'un projecteur S4 Lustr3 X8.

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La zone délimitée par un trait blanc correspond au triangle Kodak ProPhoto. La zone délimitée par un trait rouge correspond au Gamut d'un projecteur S4 Lustr3 X8.

Pour avoir une bonne représentation de l’ensemble des couleurs réelles, certaines consoles affichent le diagramme CIE xy. Sur cette représentation apparaissent des espaces plus restreints comme le triangle ProPhoto RGB et le gamut de chaque type de projecteur « patché ».

Il est ainsi possible de visualiser l’espace colorimétrique dans lequel les projecteurs peuvent réellement œuvrer. Un projecteur ne peut pas produire une couleur qui se situe en dehors de son gamut. Si une partie de son gamut se situe en dehors du triangle ProPhoto (ce qui est rare), les couleurs qui s’y trouvent ne pourront pas être produites non plus. La courbe de Planck peut elle aussi être représentée pour fournir une aide à la gestion de la température de couleur corrélée.

Kodak ProPhoto-CIExy1931

© Wikipédia - Fred the OysterLe triangle ProPhoto RGP développé par kodak à l'intérieur de l'espace chromatique CIE dont il couvre 90%. Le "point blanc" indiqué correspond à l'illuminant D50. Les zones du triangle situées en dehors de l'espace chromatique CIE contiennent des couleurs imaginaires.

© Wikipédia - Fred the Oyster

Le triangle ProPhoto RGP développé par kodak à l'intérieur de l'espace chromatique CIE dont il couvre 90%. Le "point blanc" indiqué correspond à l'illuminant D50. Les zones du triangle situées en dehors de l'espace chromatique CIE contiennent des couleurs imaginaires.

Le triangle ProPhoto RGB

Le triangle ProPhoto RGB mis au point par Kodak est un espace RGB qui couvre 90% de l’espace CIE xy. Une partie (13%) de sa surface est en dehors de l’espace CIE xy, et donc en dehors de la gamme des couleurs visibles. Le Vert et le Bleu du triangle ProPhoto RGB sont des couleurs imaginaires. Un espace colorimétrique défini par 3 points de couleurs réelles ne peut pas couvrir entièrement l’espace CIE xy (en raison de sa forme particulière). L’intérêt de choisir des couleurs en dehors de l’espace des couleurs visibles est d’augmenter la gamme de couleur accessible au sein de l’espace créé, même si cela ne permet pas de toutes les intégrer.

Le triangle ProPhoto RGB est un espace colorimétrique standard largement utilisé.

Gel Picker

Le « Color Picker » propose aussi généralement un outil appelé « Gel Picker » où l’on trouve la possibilité de sélectionner une couleur parmi les nuanciers des principaux fabricants de filtres. Cet outil ambitionne de reproduire la teinte de n’importe lequel de ces filtres. Dans la réalité, cela ne fonctionne précisément que dans très peu de cas. Pour que cela puisse fonctionner avec exactitude, il faut que chaque fabricant de projecteurs fournisse des données précises aux fabricants de consoles, ce qui est malheureusement rarement le cas. Pour reproduire précisément la couleur d’un projecteur filtré, les valeurs RGB spécifiques à chaque modèle de projecteurs, ainsi que le type de lampe du projecteur filtré dont on cherche à reproduire la couleur, doivent être connues de la console. Du point de vue de l’utilisateur, il serait souhaitable que des données colorimétriques fiables et précises puissent être communiquées aux fabricants de consoles, par les fabricants de projecteurs.

Reproduire l’émulation du filament

Certains projecteurs intègrent un algorithme qui réalise une émulation du rougissement du filament à basse intensité (« amber drift »). Cette option généralement appelée « Red shift », « Amber shift » ou « Dim shift », peut être activée si l’objectif souhaité est de reproduire le comportement à la gradation d’un filament de tungstène. Cette option est intrinsèque au projecteur, sa gestion se fait directement sur le projecteur et ne dépend donc pas des capacités la console utilisée. Elle peut toutefois être activée ou désactivé depuis la console grâce au RDM.

Lorsque le « Red shift » est associé à une courbe de gradation non linéaire semblable à celle d’une lampe à incandescence et à un algorithme qui agit sur le temps de réponse (inertie du filament), la perception visuelle de la gradation est alors très proche de celle qui est perçue avec une lampe à incandescence.

Gérer les métamères

Deux faisceaux lumineux perçus par l’œil comme étant de couleur identique peuvent révéler de différente façon les couleurs des éléments de décors, des costumes ou de la peau, en raison de leurs différences de composition spectrale. Ces différents spectres qui peuvent apparaître avec la même teinte sont appelés des métamères. (Voir aussi : Le métamérisme)

Certaines consoles permettent un maniement simple des couleurs métamères en permettant de modifier la composition spectrale tout en conservant la teinte. Plus la source « multicolore » est composée de teintes différentes, plus il existe de possibilité de lumières métamères. Cela donne la possibilité de choisir parmi plusieurs propositions de métamères selon différents critères. La sélection peut s’effectuer en privilégiant la luminosité ou l’optimisation du spectre que l’on cherche à reproduire. Elle peut aussi se réaliser par une action directe sur chaque composante du spectre, selon l’objectif recherché (mise en valeur d’un costume ou d’un élément de décor).

Effectuer des transitions colorées

Avec les projecteurs LEDs multicolores, la transition colorée entre deux Cues est permise et peut participer à la narration du spectacle. Cette transition s’effectue sans difficulté lorsque les deux couleurs ont des teintes assez proches mais lorsque les teintes sont éloignées, la transition d’une couleur à une autre ne donne pas toujours satisfaction et peut emprunter un « chemin » non désiré. Elle aura parfois tendance à transiter par une couleur désaturée qui augmente la luminosité, ou bien à transiter par plusieurs teintes avant de parvenir à la définitive. Pour remédier à ces désagréments sans avoir recours à la programmation d’une ou plusieurs Cues intermédiaires, certaines consoles ont développé un outil (« Color path », ETC Eos) qui permet de gérer cette transition facilement en agissant sur le contrôle de la teinte, de la saturation ou de la luminosité.

Constituer son propre nuancier

Lorsque l’on dispose de projecteurs dont les données colorimétriques ne sont pas renseignées dans la console et pour lesquels le Gel Picker fournit des résultats approximatifs, il existe une solution alternative qui consiste à constituer soi-même son propre nuancier. Il faut alors chercher à reproduire avec un projecteur LED, la lumière d’un projecteur halogène équipé d’un filtre, en comparant les projections de leurs deux faisceaux colorés sur un écran blanc, devant lequel il peut être intéressant de placer un échantillon de plusieurs couleurs. Lorsque les couleurs des deux sources sont perçues de façon identique, il suffit d’en enregistrer les valeurs dans un « Preset » du fichier modèle de la console, qui sert de base pour chaque nouveau spectacle. Cette couleur pourra ainsi être facilement utilisable pour chaque nouveau spectacle. Sur ce principe, il est possible de réaliser un large nuancier des filtres les plus souvent demandés.

Lorsque l’on cherche à se rapprocher le plus possible d’une couleur étalon (en cherchant à reproduire une couleur par comparaison avec une source halogène filtrée, par exemple), l’espace HSB est très approprié. Il permet de rechercher la couleur en agissant sur deux seuls paramètres : la teinte (Hue) et la saturation. L’action sur ces deux paramètres permet de se rapprocher rapidement de la couleur souhaitée. Il faut ensuite ajuster ces deux paramètres avec finesse (mode 16 bit ou « fine ») jusqu’à obtenir satisfaction. Il est souvent nécessaire d’agir conjointement sur le paramètre de Luminosité pour parvenir à la perception de deux couleurs identiques.

Ce travail minutieux et exigeant, qu’il faut prendre le temps d’effectuer sérieusement, présente l’avantage pour les opérateurs (régisseurs, pupitreurs) de se confronter aux possibilités et aux limites des projecteurs, et de pouvoir ainsi mettre en valeur leurs capacités technologiques et esthétiques.

Utiliser le format normalisé GDTF

Le GDTF (General Device Type Format) est un format de fichier numérique basé sur le langage XML, créé en 2018 à l’initiative d’un fabricant de consoles (MA Lighting), d’un fabricant de projecteurs (Robe Lighting) et d’un concepteur de logiciels CAO 3D (Vectorworks). Ce fichier répertorie tous les éléments nécessaires à faciliter la communication et l’échange de données entre projecteurs, consoles, et logiciels de conception et de visualisation 3D. Le fichier GDTF d’un projecteur contient notamment les données photométriques, les données colorimétriques, les caractéristiques et les valeurs des différents attributs, les chartes DMX, les dimensions, le poids, le type de LEDs (ou de lampe), etc. Il est accompagné d’une représentation 3D de l’appareil.

Le format GDTF est défini par la nouvelle norme DIN SPEC 15800 et est en situation de devenir un standard. Ce format universel de librairie de projecteurs pourrait être en mesure de simplifier la gestion de la couleur par la console, en lui fournissant les données colorimétriques des appareils. Du point de vue de l’utilisateur, il faut espérer que cette initiative soit grandement soutenue et que les librairies des projecteurs soient les plus complètes et les plus rigoureuses possibles. Un certain nombre de fabricants de projecteurs et de consoles reconnaissent ce format, mais sa généralisation et son optimisation devrait prendre encore un certain temps.

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