Conclusion : et demain ?
Cette mutation ne fait que commencer ; il est probable qu’elle installe peu à peu des changements profonds, durables, et qu’elle modifie le système de pensée qui oriente les actions et l’interprétation des faits, de tous les intervenants de l’éclairage de théâtre.
Certains usages vont se perdre, lorsque de nouveaux vont apparaître. Certains types de projecteurs vont disparaitre, tandis que d’autres vont les suppléer. Le référent halogène est un standard qui va lentement s’estomper jusqu’à disparaitre. La quantité de luminosité ne sera plus évaluée en fonction de la puissance consommée. Le choix et la sélection des couleurs ne se fera plus par comparaison avec l’halogène filtré ; il se fera selon la richesse colorimétrique du projecteur choisi, d’après un fichier numérique qui contiendra ses informations colorimétriques et un nuancier personnel, ou partagé.
Il est probable que d’un lieu à un autre, les équipements en projecteurs LEDs soient beaucoup plus diversifiés qu’ils ne l’ont été auparavant avec le matériel d’éclairage traditionnel, et qu’il se produise une forme de rupture avec l’uniformité et la standardisation qui était de vigueur. Face à la vitalité du marché et à la diversité de l’offre, il faut se préparer à ce que différents types d’équipements soient choisis par les différents théâtres. Certains théâtres seront équipés avec des projecteurs « blanc chaud », tandis que d’autres le seront avec des projecteurs « multicolores », certains le seront avec les deux, certains auront intégré des projecteurs « blanc froid », des projecteurs asservis, etc… Il est toutefois possible qu’avec le temps un certain type de matériel, ou de modèle en particulier, fasse consensus et que de nombreux théâtres s’accordent sur son utilisation.
Il est vraisemblable qu’à l’avenir de plus en plus de productions théâtrales partent en tournée avec une partie du matériel d’éclairage (console et projecteurs principaux). L’intégrité et la fidélité de l’éclairage s’en trouvera plus facilement préservé. Cela commence d’ailleurs à s’observer avec certaines productions théâtrales (surtout étrangères), tandis que les productions de musiques actuelles en ont déjà une pratique complétement ordinaire et acquise. Cette orientation présente l’avantage d’apaiser les relations entre les productions de tournées et les lieux de représentations. Certaines tensions peuvent se créer lorsque les uns demandent aux autres de fournir du matériel spécifique très onéreux et difficile à trouver. Le matériel peut être loué le temps de la tournée, ou acheté dans une perspective d’investissement. Contrairement aux décors et aux costumes, une console ou certains projecteurs asservis peuvent facilement être réutilisés sur les prochains spectacles pendant au moins une dizaine d’année, durée suffisante à leur amortissement. Le matériel peut être choisi par l’éclairagiste d’après des caractéristiques spécifiques qui répondraient aux différents besoins, et non pas parce qu’il est d’un usage courant dans tous les théâtres. En suivant cette tendance, la quantité de projecteurs à fournir par les théâtres s’en trouverait diminuée. Les théâtres pourraient ne posséder qu’un équipement de base qui serait complété par celui de chaque spectacle accueilli.
Pour compléter leur propre matériel lorsqu’elles partiront en tournée, les productions théâtrales devront certainement apprendre à s’adapter à utiliser du matériel différent de celui qui était utilisé au moment de la conception, et devront être en mesure de pouvoir tirer parti de différents types de matériel. Les productions de musiques actuelles, de comédies musicales, et de certains opéras sont déjà familiarisées avec cette situation et ont su s’y adapter.
La personne qui a la charge de la gestion de l’éclairage en tournée devra certainement cumuler des compétences d’éclairagiste, de régisseur-lumière et de pupitreur, pour pouvoir correctement adapter l’éclairage d’un spectacle. Ce type de profil se rencontre déjà dans le secteur des musiques actuelles. Dans ce cas, la scission entre l’éclairagiste et le régisseur-lumière pourrait se faire moins nette qu’elle ne l’est généralement aujourd’hui au théâtre. Si tel n’était pas le cas, l’éclairagiste pourrait avoir une charge de travail supplémentaire pour l’adaptation de l’ensemble des dates de la tournée. Il est aussi possible que se développent des binômes éclairagiste/pupitreur (comme cela existe déjà parfois à l’Opéra ou dans les musiques actuelles) où chaque moitié du binôme possède ses propres compétences spécialisées et complémentaires de l’autre moitié, et où la qualité du résultat repose sur une relation de confiance et un langage commun.
Les responsables techniques des différentes salles devront rassembler les éléments suffisants (connaissances, avis d’experts, …) pour correctement choisir le matériel selon leurs besoins et leurs moyens. Les éclairagistes et les régisseurs lumières qui tournent avec les spectacles, devront avoir les compétences suffisantes pour correctement adapter les caractéristiques de leur lumière à différents types de matériel.
La LED peut nous réserver encore des surprises et ses futures utilisations auront peut-être des impacts encore insoupçonnés sur l’éclairage des spectacles. Conjointement, les spectacles ayant recours à la réalité virtuelle (Livestream) vont certainement se développer. Les premières expérimentations s’adressent généralement à un public réduit (10 spectateurs par représentations pour Le Bal de Paris de Blanca Li), mais cette forme d’immersion dans un monde purement synthétique et numérique va certainement se développer et toucher un plus large public. En 2020, le rappeur Travis Scott a livré 5 concerts virtuels (images de synthèse) aux utilisateurs du jeu vidéo en ligne Fortnite, rassemblant ainsi un total de plus de 27 millions de spectateurs. Dans ce cas, La LED n’est plus seulement une source d’éclairage. Elle constitue l’ensemble de l’espace dans lequel on s’immerge et avec lequel on interagit (les décors, les accessoires, les artistes, etc).